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Avec la Presse, S.E. Marcel AMON-TANOH décortique l'actualité diplomatique et la candidature de la Côte d'Ivoire au Conseil de sécurité- Publiée le 07-03-2017

  
  
Depuis avril 2011, le Président Alassane Ouattara a fait du repositionnement de la Côte d’Ivoire une de ses priorités. Quelle est, aujourd’hui, le niveau de vitalité de la diplomatie ivoirienne ?
Le Président de la République, dès 2011, a d’abord privilégié les relations avec les pays limitrophes. A savoir, le Burkina Faso, le Mali, le Ghana, le Liberia et la Guinée. Egalement avec le Sénégal, le Togo, le Bénin et le Nigeria. Il a multiplié non seulement les visites dans ces pays-là à toutes les occasions qui se présentaient, mais il participait aussi aux rencontres des organisations de la sous-région. Notamment, de la Cedeao, du Fleuve Mano, etc. Il a eu l’opportunité de diriger la Cedeao pendant deux ans. C’est au cours de son mandat que sont survenues les crises au Mali et en Guinée-Bissau. En aidant à résoudre ces deux crises majeures, il s’est attiré la sympathie de la plupart des 15 Etats membres de la Cedeao. Grâce à tout cela, la Côte d’Ivoire a pu se repositionner dans la sous-région. Il faut aussi souligner la participation du Chef de l’Etat à tous les sommets de l’Union africaine. Il a également effectué des visites dans un certain nombre de pays en Afrique centrale, du Sud, du Nord, etc. De sorte que sur le continent, la Côte d’Ivoire est redevenue, pour revenir à la fameuse formule du Président Houphouët-Boigny, « l’amie de tout le monde et l’ennemie de personne ». Il y a ensuite eu des offensives sur les autres continents, l’Europe, l’Amérique, l’Asie. Le Président de la République a répondu, en Europe, à une invitation de la Chancelière allemande, Angela Merkel, du Président français, Nicolas Sarkozy, etc. Il est allé en Chine, en Corée du Sud. Depuis qu’il est au pouvoir, le Président Alassane Ouattara est allé tous les ans aux Nations unies. Tout cela a contribué à mieux faire comprendre au monde les ressorts de la crise que nous avons connue. Et comment la Côte d’Ivoire comptait en sortir.
Je dois également dire que le taux de croissance, qui est en moyenne de 9 % depuis 2012, nous a beaucoup aidés. Il nous a donné de la crédibilité à travers l’action économique du Président de la République. Certaines personnes l’ont critiqué dans son élan. Certains ont dit qu’il voyageait beaucoup. Mais, les résultats sont là aujourd’hui. La Côte d’Ivoire en est fière.
Vous avez parlé du taux de croissance. Il a attiré de nombreuses entreprises marocaines, françaises, chinoises, coréennes, etc. Est-ce qu’il y a de la place pour tout le monde ? Quel est le partenaire le plus important aujourd’hui ?
Les principaux partenaires de la Côte d’Ivoire restent la France, la Grande Bretagne, la Chine, la Suisse, le Maroc. Tous les Présidents qui se sont succédé à la tête de la Côte d’Ivoire ont toujours dit que le pays était ouvert à tout le monde. Nos amis français, nous le leur avons expliqué et ils nous ont bien compris. Même chez eux, la concurrence, qui est aujourd’hui mondiale, existe. Il n’y a pas de raison qu’ils ne comprennent pas qu’ils subissent la concurrence en Côte d’Ivoire. Evidemment, nous avons toujours une attention particulière pour nos amis historiques, dont la France. Mais, vous savez que les investissements chinois sont très importants en Côte d’Ivoire avec, notamment, le barrage de Soubré. Avec la Corée du Sud, il y a le projet phare franco-coréen du train urbain, etc.
Nous essayons surtout d’avoir un code des investissements attractif avec des procédures simplifiées qui permettent de créer aujourd’hui une entreprise en Côte d’Ivoire en 48 heures, grâce aux efforts du guichet unique du Centre de promotion des investissements en Côte d’Ivoire (Cepici). Nous avons donc fait en sorte qu’en plus de l’environnement macro-économique, l’environnement des affaires qui été assaini à cet effet et la justice soient des atouts complémentaires pour attirer les investisseurs.
Il y a deux ans, au sommet Chine - Afrique à Johannesburg en Afrique du Sud, la Chine a débloqué une importante somme d’argent pour les pays du continent. Quelle est la part de la Côte d’Ivoire dans cette manne ?
Il n’y a pas de part par pays. La Chine a mis à disposition une enveloppe, et c’est le dynamisme de chaque Etat qui fait que tel ou tel pays va bénéficier de telle ou telle part de l’enveloppe globale. Nous essayons d’avoir une diplomatie agressive avec la Chine à travers notre représentation à Pékin. Pour faire en sorte qu’on présente dans les délais qui nous sont impartis des projets bancables, et qu’ensuite, il y ait un suivi pour que la Côte d’Ivoire tire un meilleur parti de l’initiative de la Chine.
A l’occasion du forum sur l’émergence qui aura lieu à Abidjan les 28, 29 et 30 mars, nous allons tenir la troisième session de la Commission mixte ivoiro-chinoise, le 27 mars précisément. Le ministre chinois du Commerce sera présent en Côte d’Ivoire. Nous allons travailler à rendre notre coopération encore plus dynamique.
La Côte d’Ivoire postule pour un siège de membre non permanent du Conseil de sécurité de l’Onu. Est-ce à dire qu’aujourd’hui, nous avons retrouvé notre place de leader dans la sous-région ?
La Côte d’Ivoire est quand-même une locomotive de la sous-région. En termes de puissance, nous sommes le deuxième pays après le Nigeria. Nous pensons surtout qu’avec ce que le monde nous a donné ces dernières années, pendant et après la crise et de l’expertise que nous avons tirée de la gestion de la crise et de la post-crise, nous avons des acquis à partager avec les autres pays du monde. Les problématiques qui se posent au monde actuel sont liées à la paix, à la sécurité, au terrorisme, à la gestion post-crise. Nous sommes convaincus que la Côte d’Ivoire, compte tenu de ce qu’elle a traversé ces quinze dernières années, a une expertise à mettre au service de la communauté internationale. Et mieux, nous sommes aujourd’hui prêts à participer à des opérations de paix des Nations unies. Il y a ainsi un bataillon de 800 hommes en attente.
Récemment, vous étiez à Genève (Suisse) et peu avant, à New York (Etats-Unis). Avez-vous un retour de cette offensive diplomatique ?
La Côte d’Ivoire est dans une dynamique qui n’a pas débuté avec mes voyages récents. Comme je vous l’ai dit, c’est un engagement qui date de 2011. Le rôle du ministère des Affaires étrangères, c’est d’accompagner le Président de la République dans ses initiatives extérieures. Nous essayons de faire en sorte que cet accompagnement se fasse le mieux possible. Que les actions du Chef de l’Etat perdurent et se pérennisent. Et enfin que ses actions aient un suivi aussi bien sur le plan bilatéral que sur le plan multilatéral.
New York, c’était la première sortie d’un futur candidat à un siège de membre non permanent du conseil de sécurité. Nous y sommes allés pour répondre à l’opportunité que les Nations unies nous offraient de nous adresser au Conseil de sécurité. Un ministre des Affaires étrangères de Côte d’Ivoire ne s’est plus adressé au Conseil de sécurité depuis le ministre Essy Amara. Nous avons saisi cette opportunité, surtout après les événements récents qui ont eu lieu dans notre pays. Nous nous sommes retrouvés à cette tribune au lendemain des événements d’Adiaké pour rassurer nos amis, la communauté internationale, les membres permanents et non permanents du Conseil de sécurité. Et leur dire que la Côte d’Ivoire est stable.
Que ce qui s’est passé est inquiétant, parce que c’est démonstratif. Mais cela nous a permis de prendre conscience de ce que nous devons accélérer la réforme du secteur de la sécurité (Rss). Mettre en œuvre, avec plus de diligence la loi de programmation militaire et insister sur le volet formation. Et, à l’intérieur de ce volet, le segment discipline. Le Président est à la tâche. Il prend cela très au sérieux. Il y travaille tous les jours. La loi de programmation militaire est une loi qui apporte des réponses principalement à la problématique des conditions de travail et de vie de nos soldats aussi bien dans les casernes qu’en ville. Nous avons des éléments de réponse. Je crois qu’aujourd’hui, les soldats ont compris. Ils ont besoin de faire preuve de patience. Cela représente des efforts financiers importants. L’Etat et le Président de la République tiendront leurs engagements.
Qu’en est-il du processus de vote ?
Ce sont les pays de l’Assemblée générale des Nations unies qui vont voter le 2 juin 2017. C’est un vote qualifié. C’est-à-dire que pour être élu membre non permanent du Conseil de sécurité, il faut être élu aux deux tiers des membres de l’Ag, donc des pays. C’est pourquoi, on se bat. Il suffit qu’un pays soit absent, et vous perdez une voix. On est dans la sensibilisation des pays. On ne manque aucune occasion. Notre candidature a été adoubée par l’Afrique de l’Ouest, la Cedeao, l’Union africaine. Nous postulons pour la période 2018 - 2019.
Vous avez récemment prononcé à Genève un discours mémorable dans lequel vous avez déclaré que « la Côte d’Ivoire continuera à apporter sa contribution pleine et entière au dialogue sur la promotion et la protection des droits de l’homme, en mettant l’accent sur le partage d’expérience ». Comment est perçue, de l’extérieur, la situation des droits de l’homme en Côte d’Ivoire ?
Je vais donner un exemple. On a rencontré le Haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme. Nous avons été fiers et réconfortés. Quand il a regardé sa fiche-pays se rapportant à la Côte d’Ivoire, il a dit que de toutes les fiches qu’il a reçues, celle de notre pays était une des rares où il n’y avait aucun problème de droits de l’homme. Venant du Haut-commissaire des droits de l’homme des Nations unies, on ne peut en dire plus. Il y a des progrès à faire, bien sûr. Mais dire que la Côte d’Ivoire n’a pas fait d’énormes efforts serait injuste. Il y a 15 jours, le Président de la République a pris un décret pour protéger les acteurs des droits de l’homme. Et j’ai fait remarquer à tous mes interlocuteurs que ce décret a été pris à l’initiative du gouvernement. C’est dire que nous n’avons subi aucune pression ni de l’intérieur, ni des Ong, encore moins de l’extérieur. Il y a très peu de pays dans le monde qui ont un tel dispositif.
Vous avez également déclaré que « la Côte d’Ivoire, se fondant sur sa tradition d’hospitalité vis-à-vis des migrants, et de lutte contre l’apatridie, appelle l’ensemble des pays d’accueil à améliorer leurs politiques d’intégration ». Que fait concrètement notre pays face à ce nouveau phénomène ?
D’abord, je voudrais signaler que du point de vue humain, ce n’est pas parce que quelqu’un est dans l’illégalité en tant que migrant qu’on doit le traiter comme un animal. Nous nous sommes levés contre le traitement qui est fait aux migrants illégaux, irréguliers. Pour dire que le Conseil des droits de l’homme devait interpeller les Etats qui infligent un traitement inhumain à ces migrants. Et que la Côte d’Ivoire associait sa voix à tous les pays qui protestaient contre cet état de fait.
Maintenant, vous savez que nous sommes les champions de l’apatridie. Nous avons pris des textes en faveur des apatrides parce que nous estimons que tout être humain doit pouvoir être rattaché à un pays. C’est le minimum en termes d’identité, de culture, de droit d’exister.
Au niveau de la migration, il y a un phénomène qui se répand de plus en plus. Un certain nombre de migrants se prétendent ivoiriens. Il y a même, en ce moment, une mission interministérielle en Italie pour gérer cette question et plancher sur les mécanismes à mettre en place pour vérifier l’origine de ces migrants. Il y en a qui n’ont aucun papier et qui se disent Ivoiriens. D’autres ne savent même pas qui est le Premier ministre de la Côte d’Ivoire. On pose des questions qui montrent de toute évidence que ces individus ne sont pas Ivoiriens. Ils ont parfois des extraits de naissance. Mais jamais de cartes d’identité, de passeports périmés. Nous soupçonnons un trafic d’extraits de naissance. Nous sommes en train de voir avec le ministère de l’Intérieur comment vérifier la véracité des déclarations de ces migrants.
Une fois que la preuve est faite, et c’est le problème que nous ont posé la Suisse et le ministre en charge des Affaires africaines de la Grande Bretagne, que la personne est ivoirienne, nous contribuerons à son rapatriement en Côte d’Ivoire.
Le Maroc a récemment demandé à intégrer la Cedeao. Que pense la Côte d’Ivoire de cette initiative ?
Ce que nous disons à nos amis marocains, dont nous avons soutenu la candidature à l’Union africaine, c’est que nous sommes une organisation sous régionale. Nous allons consulter les pays « frères » au nombre de 14. Puis aviser. En tout état de cause, il faut que ce soit toujours, et surtout dans les relations Sud-Sud, des partenariats gagnant-gagnant. Il est clair que le Maroc a un intérêt à venir dans la Cedeao, sinon il n’exprimerait pas le souhait. Il faut qu’en retour, nous puissions analyser les avantages comparatifs d’accès au marché marocain.
La Gambie sort d’une crise qui a été assez bien gérée par la Cedeao. Que comptent faire les pays de la sous-région pour assister ce pays encore fragile ?
La Cedeao dépense déjà de l’argent pour maintenir des troupes sur le territoire gambien. On a voulu que ces troupes-là restent très peu de temps en Gambie. Parce que l’objectif était de faire partir Yahya Jammeh. Non pas par la force mais en faisant respecter le verdict des urnes.
Le Président Barrow a, par la suite, souhaité que les soldats de la Cedeao restent plus longtemps pour le sécuriser et sécuriser le pays. Nous essayons de tendre la main à des pays amis pour nous aider à supporter la charge financière induite.
Il est aussi bien que la Gambie revienne dans la famille de la démocratie, des libertés d’expression. Cela va stabiliser la frontière avec le Sénégal et la Casamance. Ce pays était la base arrière des rebelles casamançais. Le premier grand bénéficiaire de cette situation est le Sénégal. C’est d’ailleurs pourquoi ce pays était à l’avant-garde de l’intervention de la Cedeao.
La Cedeao va de succès en succès. C’est l’une des organisations sous-régionales qui fonctionne le mieux sur le continent.
Vous avez dit récemment à Genève que l’un des plus grands maux du continent africain c’est le terrorisme. Comment les pays africains cherchent-ils à vaincre ce fléau ?
Il n’y a pas de formule magique. Le problème du terrorisme, c’est qu’il peut frapper n’importe où, n’importe quand, n’importe comment. La première solution est l’échange de renseignements. La prévention en matière de sécurité est le meilleur des remèdes. Nous avons fait de l’échanges des informations au sein de la Cedeao et au-delà. Nous avons une étroite collaboration avec les services marocains, français et d’autres pays européens. Y compris avec la Turquie. Ensuite, il y a la mutualisation de nos forces. Aucun pays au monde ne peut lutter seul et efficacement contre le terrorisme. L’autre clé, c’est aussi d’entretenir de bonnes relations avec ses voisins. Parce qu’on n’a pas les moyens de surveiller seul ses frontières. Il faut également améliorer le comportement des forces de l’ordre vis-à-vis des populations civiles.
Le 13 mars marque l’an un de l’attaque terroriste de Grand-Bassam. Doit-on oublier ou s’en souvenir ?
Il faut les deux. Heureusement que l’oubli existe. Quand on perd un parent proche, c’est le temps qui nous aide et nous permet de continuer à vivre. L’oubli, c’est la clé. Heureusement que Dieu nous a donné cette capacité. Par contre, il faut toujours tirer les leçons de ce genre d’événements. Des leçons négatives, mais surtout des leçons positives pour aller de l’avant. A cette occasion, nos forces de défense et de sécurité ont montré au monde leur capacité à réagir avec promptitude face à une attaque. Souvent, des gens me disent qu’ils sont inquiets parce que l’Onuci s’en va. Je leur réponds que l’Onuci était là quand il y a eu l’attaque terroriste de Grand-Bassam. Mais ce sont nos forces qui ont apporté la réplique. Les élections présidentielles de 2015 ont été parfaitement sécurisées par nos forces de l’ordre. C’est pareil pour le référendum et les législatives. Nos forces ont du répondant. On a un problème qu’on est en train de régler et tout va rentrer dans l’ordre.
On va commémorer l’attaque de Grand-Bassam parce qu’il est important que le pays s’en souvienne. Il est aussi important d’honorer ceux qui sont morts et qui ont payé de leur vie cette barbarie. Il faut, par ailleurs, prendre des mesures idoines pour que cela ne se reproduise plus.
Peut-on vraiment compter sur nos forces en cas de récidive. Quand on sait qu’il y a des remous en leur sein ces derniers temps ?
Je disais plus haut que la formation est très importante. Je ne vais pas entrer dans les détails, mais nous savons les cibles sur lesquelles nous devons agir plus profondément pour que les remous ne se reproduisent plus.
Dans le même temps, j’ai fait remarquer à la communauté internationale que le Ddr était prévu pour quatre ans. Il a été fait en deux ans par la volonté politique du Président de la République, qui y a mis les moyens. Nous avons financé le Ddr à hauteur de 70 %. C’est un fait rare dans le monde. La plupart des désarmements sont financés par la communauté internationale. En le faisant trop vite, on a peut-être péché sur l’aspect formation. Nous allons le corriger.
La position du nouveau locataire de la Maison blanche, Donald Trump, sur l’immigration inquiète. Comprenez-vous ou partagez-vous cette inquiétude ?
Notre position est simple. D’abord, les américains ont élu Donald Trump. C’est un choix libre des électeurs d’un pays indépendant. Nous n’avons donc pas de commentaires à faire là-dessus. Il est vrai que certains décrets du Président Trump visent les immigrants et sont cause de réactions dans le monde. Mais nous attendons de voir. J’aurai l’occasion de rencontrer des responsables du département d’Etat en juin. Je pourrai en savoir davantage.
Réalisée par Venance KONAN, Amédée ASSI (Frat Mat) et Paul Philippe (Radio Côte d'Ivoire)